La préparation du congrès de Marseille

A l’automne 1968, la direction de l’UEC, avec à sa tête Jean-Michel Catala, décide de s’intéresser de près au syndicalisme étudiant. Après les grandes difficultés des années précédentes, l’UEC se reconstruit, se renforce et l’investissement du champ syndical devient possible.

L’UNEF est alors aux mains des étudiants du parti socialiste unifié (ESU). En cet automne, l’objectif pour eux, dans cet après-mai 68, est de transformer l’UNEF en « mouvement politique de masse », ce que dénonce une partie des adhérents et notamment les communistes.

Les effectifs du syndicat ont fondu depuis quelques années et les débats sont devenus très politiques avec une intervention permanente des militants des organisations d’extrême gauche (maoïstes, trotskistes…). La priorité pour ces courants est de « refaire mai » selon l’expression utilisée par Hélène Adam et François Coustal, auteurs de C’était la Ligue (2019, Editions Syllepse/Arcane 17). La direction nationale se rapproche des positions et des militants de la JCR (dissoute en juin 1968).

Au sein de l’UNEF, les communistes sont minoritaires et dispersés. Ils sont néanmoins présents à la direction de quelques AGE. Lors des assises  nationales des 5, 6 et 7 juillet 1968, les étudiants communistes via le représentant de l’AGE d’Orsay soutenu par ceux des AGE de Lille, Saint-Étienne, Toulouse et Nice se sont exprimés à la stupéfaction des militants trotskystes de la FER, de la JCR, évidemment du PSU qui dominaient largement l’assemblée. A la rentrée, les étudiants communistes décident de s’organiser et de tenter de s’opposer aux projets de la direction nationale du syndicat.

Dans une note manuscrite conservée par La Contemporaine (Ex-BDIC – Nanterre), Roger Barralis, membre du bureau national de l’UNEF, relève que le responsable de l’UEC, Jean-Michel Catala, « a contacté les étudiants socialistes » courant novembre et que « plusieurs réunions ont eu lieu avec les étudiants de la CIR, de l’UGCS, les ES et l’UEC ». Pour Roger Barralis, ces préparatifs n’ont qu’un objectif : « prendre la direction de l’UNEF ». Il affirme même que ce sont, eux, les rédacteurs du texte de l’AGE de Lille. En effet, un projet de texte d’orientation « pour le renouveau de l’UNEF » émanant de cette AGE est diffusé à partir du 6 décembre 1968 dans le cadre de la préparation du congrès de Marseille (22-23 décembre 1968).

Au moment où le congrès s’ouvre, huit AGE (Lille, Brest, Mulhouse, Orsay, Nancy, Nice, Saint-Etienne, Toulouse) décident de lancer un appel commun au contenu très proche du texte de l’AGE de Lille. L’objectif est d’imposer une ligne syndicale et de rejeter la transformation en mouvement politique souhaitée par la direction nationale.

Voici donc ci-dessous quelques documents permettant de cerner cette période et les raisons de la création de la tendance UNEF-Renouveau.

Les assises nationales de l’UNEF des 5, 6 et 7 juillet 1968 (Grenoble) :

La déclaration de l’AGE d’orsay à ces assises.

Archive déposée par Philippe Méhaut à la Cité des Mémoires étudiantes.

Notes sur les assises nationales de l’UNEF des 5, 6 et 7 juillet 1968 (Grenoble).

Document appartenant au fonds MJCF des Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

 

 

Note-memo sur la création de la tendance Renouveau faisant partie à l’époque du « corpus de travail » de Roger Barralis, alors secrétaire général (de fait) de l’UNEF (printemps 1969).

Ces notes étaient alors confidentielles. Elles sont à présent déposées à La Contemporaine dans le fonds Roger Barralis.

Notes de séance manuscrites prises par Roger Barralis lors de la rencontre du BN de l’UNEF avec le bureau confédéral de la CGT mené par Henri krasucki le 4 décembre 1968, avant le Congrès de Marseille. Les communiqués des deux orgas ont été placés à la suite et mettent en évidence le « dialogue de sourds » qu’a constitué cette rencontre.

Documents fournis par Roger Barralis

 

 

Romain Vila dans son mémoire de M2 portant sur les relations entre l’UNEF et la CGT (1968-2006) analyse cette rencontre pages 35 et 36 (voir le lien ci-dessous).

Le 57e congrès de l’UNEF des 22 et 23 décembre 1968 (Marseille) :

L’appel de l’AGE de Lille du 6 décembre 1968 reproduit dans le journal Clarté.

Journal en ligne sur le site de la Cité des Mémoires étudiantes

 

L’appel des huit AGE pour le renouveau de l’UNEF diffusé lors du congrès de Marseille

Archive déposée par Michel Solignac à la Cité des Mémoires étudiantes.

– L’appel de l’UEC à rénover l’UNEF du 7 décembre 1968 (Journal en ligne sur le site de la Cité des Mémoires étudiantes).

– Le texte d’orientation présentée par le bureau national de l’UNEF pour le 57e congrès (Site de l’Institut Tribune Socialiste)

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Cet appel sera rejeté par la majorité des délégués et décision sera prise au cours du mois de janvier de créer une nouvelle tendance reprenant le contenu de cet appel. Ce seront les comités pour le Renouveau de l’UNEF. Leur premier combat est de participer aux élections universitaires du mois de février et donc de réussir à monter des listes contre l’avis de la direction de l’UNEF et de l’ensemble de ses courants.

Des étudiants non-communistes – de la Convention des institutions républicaines (CIR), des radicaux…- sont associés à la formation de cette tendance même si les meneurs restent très majoritairement communistes tels Benoît Monier, Guy Konopnicki ou Roger Fajnzylberg.

Cette tendance reçoit, outre ceux de l’UEC et du PCF, l’appui de la CGT qui a très mal pris le tournant « politique » de l’UNEF. Dans son mémoire, Romain Vila décrit bien cette rupture entre l’UNEF et la CGT qui, évidemment, prend fait et cause pour la nouvelle tendance. La confédération met à disposition des comités pour le Renouveau les locaux du 11 rue du Caire (Paris, 2e) et, ce, dès le mois de mars 1969.

Les comités pour le renouveau de l’UNEF sont aussi activement soutenus par la nouvelle direction de la FRUF élue au congrès de Poitiers en février 1969 avec à sa tête Francis Colbac, étudiant communiste et partisan de la rénovation de l’UNEF.

 

– L’article de l’Express relatant les débats du 57e congrès (Site de l‘Institut Tribune Socialiste)

– L’article du Figaro, 22 Décembre 1968 (Site de l‘Institut Tribune Socialiste)

– L’article du Monde analysant lui aussi ce congrès : « La direction de l’U.N.E.F. a réussi à éliminer ses opposants », 27 décembre 1968

Extrait : « L’Union nationale des étudiants de France, qui ne représentait déjà qu’une minorité d’étudiants, s’est encore affaiblie. À son congrès, qui vient de s’achever à Marseille, aucun accord n’a pu être réalisé entre ses différentes tendances. Et celle qui dirigeait l’organisation depuis deux ans – étudiants du P.S.U., – menée par M. Jacques Sauvageot, n’a pu conserver un fragile pouvoir qu’en excluant ou en retirant le droit de vote au congrès à des adversaires opposés entre eux.Elle Ht preuve d’une habileté parlementaire consommée, rappelant celle des partis charnières sous la IVe République. C’est ainsi que furent exclues les associations parisiennes modérées dites  » apolitiques  » (sciences, médecine, sciences politiques, Institut catholique), puis invalidées plusieurs des associations tenues par les étudiants communistes, et celle de Lille, où la tendance  » comité d’action  » avait pris le pouvoir in extremis. »

– Le bulletin Intérieur de la FRUF (avril 1969 – numéro 1), avec un article dénonçant la direction nationale de l’UNEF et soutenant la perpective de rénovation dès la page 2 (La Contemporaine, fonds Union nationale des étudiants de France (1924-1971).

– VILA Romain, Les relations entre l’(es) UNEF et la CGT : méfiance, polarisation, convergence (Mai 68-Avril 2006), mémoire de M2 de science politique, Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Lyon, 2008.

 

Petit lexique :

La CIR : Convention des Institutions Républicaines. Petit parti politique fondé en 1964 et animé par François Mitterrand.

L’UGCS : l’Union générale des clubs socialistes créé en 1967 par Jean Poperen.

Les ES : Étudiants membres de la Fédération nationale des étudiants socialistes S.F.I.O.

La FER : Fédération des étudiants révolutionnaires créée en avril 1968 rassemblant des jeunes trotskistes de la branche lambertiste (OCI). Après sa dissolution par le pouvoir gaulliste en juin 1968, la FER devient l’AJS, Alliance de Jeunes pour le Socialisme.

La JCR : Jeunesse communiste révolutionnaire créée en avril 1966 rassemblant des jeunes trostkistes menés notamment par Alain Krivine. Après sa dissolution en juin 1968 et après un long processus, la Ligue Communiste est fondée en avril 1969. Devenue, Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en 1974, elle crée une organisation de jeunesse en 1979 baptisée JCR.