Nouveaux entretiens enregistrés

Les militant.es de la FRUF

Après avoir recueilli les témoignages oraux ou écrits de Guy Konopnicki, Roger Fajnzylberg, d’Yves Luchaire, d’Olivier Mayer, Nicole Chambon et Philippe Méhaut…, militants engagés dès les premiers jours dans la création de la tendance pour le renouveau de l’UNEF, nous avons, ces dernières semaines, collecté ceux de trois autres militants de la même génération.

Ces trois témoins furent dirigeants de la Fédération des résidences universitaires de France (FRUF). Ils ont milité à la fois au sein de leur résidence universitaire et à l’échelle nationale de la fédération. Tous trois ont été actifs sous la présidence de Francis Colbac (1969-71), et deux d’entre eux ont poursuivi leur engagement sous celle de Marie-George Buffet (1971-73). Les témoignages de Francis Colbac et de Marie-George Buffet avaient déjà été recueillis il y a deux ou trois ans.

Voici un court résumé de leurs entretiens, qui ont été enregistrés et confiés à laCité Des Mémoires Étudiantes :

« Je regarde ces années-là avec beaucoup de tendresse et de fierté. »

Le témoignage de la sociologue et coprésidente de l’Initiative Féministe Euro-méditerranéenne a été recueilli chez elle, à Paris.
Lors de cet entretien, Lilian Halls-French se remémore une époque marquante de sa vie, lorsque son engagement universitaire et militant a pris racine dans le contexte bouillonnant de la fin des années 1960. Arrivée sur le campus de Nanterre La Folie en 1966, elle y a trouvé non seulement un environnement d’études enrichissant, mais aussi un espace de vie exceptionnel à la Cité Universitaire, qu’elle décrit comme un lieu de confort idéal pour une étudiante issue d’une famille très modeste : « J’avais une chambre à moi, claire. J’habitais au 8e étage. C’était un grand bonheur aussi de côtoyer dans la cité des étudiant-e-s originaires de pays très divers « .
Après une terminale de philosophie à l’annexe du lycée Carnot, à Asnières, elle s’inscrit à l’université de Nanterre en philosophie avant de s’orienter vers la sociologie et terminer avec un mémoire de DEA.
À Nanterre, Lilian s’engage activement dans les mouvements étudiants politiques et syndicaux. Elle adhère à l’Union des Étudiants Communistes (UEC) et à l’UNEF Renouveau, où elle se lie à des figures comme Guy Konopnicki, Roger Fajnzylberg, René Maurice ou Gilbert Wasserman, tous très investis à l’UNEF. Elle évoque une période de tensions extrêmes avec les militants maoïstes sur le campus et un contexte de très grande violence. Néanmoins, dans cet espace militant, elle découvre un quotidien politique animé, particulièrement au sein de la FRUF (Fédération des Résidences Universitaires de France). L’association locale, l’ARCUN (Association des résidents de la cité universitaire de Nanterre), n’est pas très structurée ni développée, à la différence de celle d’Antony, la fameuse AERUA, mais elle reste son principal terrain d’action.
En 1967, Lilian et d’autres militantes communistes commencent, aux côtés de beaucoup d’autres, à revendiquer des droits égalitaires dans les résidences, notamment la libre circulation pour les filles et les garçons entre pavillons masculins et féminins. En 1968, elle participe à l’invasion symbolique du bâtiment des filles, un acte qui marque une étape décisive dans son engagement féministe. Son militantisme en faveur des droits des femmes se renforce dans un contexte où les avortements clandestins, puisqu’encore illégaux, sont à l’origine de tragédies qu’elle ne peut oublier : « Le souvenir que j’ai, très frappant, est celui des ambulances qui fréquemment emmenaient les filles victimes de ces pratiques aux urgences de l’hôpital de Nanterre . C’était vraiment sinistre ».
Lilian évolue rapidement dans la FRUF, accédant à des responsabilités nationales : trésorière en novembre 1969 sous la présidence de Francis Colbac, elle est élue secrétaire générale en mars 1970 lors du 3e congrès de la fédération. Lorsque Marie George Buffet devient présidente en 1971, elle reste à la direction nationale en tant que vice-présidente. Malgré ses nouvelles responsabilités, la cité universitaire de Nanterre demeure pour elle le lieu central d’implication et d’actions. Là, avec les autres militants, elle tente d’améliorer les conditions de vie des résidents en obtenant de « petites » victoires, souvent sur des sujets quotidiens.
Elle assume ces responsabilités jusqu’à la fin de ses études, en juin 1972.
Le témoignage de Lilian Halls-French, aux côtés de ceux de Jean Lafontan, Alain Miranda, Marie George Kosellek-Buffet ou Francis Colbac déjà récoltés, illustre les spécificités d’une organisation résolument ancrée dans la vie des cités universitaires. Ce sont des espaces où des étudiants, issus de milieux populaires et d’origines variées, s’efforcent de mener des luttes sociales et culturelles, avec des moyens modestes, incarnant un syndicalisme de proximité et de solidarité.

De la JEC à l’UIE !

Nouvel entretien avec l’un de ceux du Renouveau, militant à la FRUF et à l’UNEF. Il s’agit d’Alain Nicolas, né en Tunisie, bachelier à Marseille, puis étudiant à Sup de Co Paris (ESCP) et à Assas entre 1967 et 1974.
Issu d’une famille modeste de culture catholique, sensible aux réformes de Vatican II (1962-1965) et ouverte à l’évolution sociale de l’Église, mais pas « de gauche », Alain est né en 1948 dans la banlieue de Tunis. Quelques années après l’indépendance, dans le contexte tendu de la guerre d’Algérie, ses parents s’installent finalement à Marseille. Alain passe son bac au lycée Périer et sa prépa HEC au lycée Thiers. Lycéen, il participe aux activités de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC).
Admis à l’École supérieure de commerce de Paris (Sup de Co) et inscrit en droit à Assas (il s’inscrira ensuite en économie), il s’installe à la résidence universitaire d’Antony à la rentrée 1967 et devient l’un des 3 000 résidents.
Afin de rompre l’isolement, il sympathise avec des catholiques « très à gauche », puis rencontre des militants communistes lors d’une soirée commémorant le cinquantenaire de la Révolution d’Octobre. Il s’investit aussi très vite dans l’association des résidents, l’AERUA.
La vie associative à la résidence, un « bouillon de culture incroyable », est d’une grande intensité. Alain commence par s’impliquer dans les activités culturelles de l’AERUA, notamment dans son ciné-club. Cette année fut aussi celle des manifestations et des barricades de mai 1968. Notre ancien Marseillais sera même, pendant quelques heures, le “responsable” de l’une d’entre elles, au carrefour de la rue Lhomond et de la rue d’Ulm.
À la cité U, les résidents communistes, organisés en cellules du PCF, sont dominants. Près de 10 % d’entre eux y sont adhérents. À l’AERUA, ils sont majoritaires à la direction. L’autre force politique est celle des JCR, mais les relations, parfois tendues, ne dégénèrent jamais. Alain adhère en décembre 1969 au PCF, mais pas à l’UEC.
À la rentrée 1969, l’AERUA déclenche une grève des loyers en protestation contre leur hausse. Elle dure jusqu’à la fin du printemps et Alain en est l’un des organisateurs, collectant les loyers remis à un huissier. Cette grève gênait par ailleurs une partie de la direction du PCF, qui voulait à tout prix se démarquer des « gauchistes » et ne pas « faire peur aux gens ». Il est élu au bureau national de la Fédération des Résidences Universitaires de France (FRUF) sous la présidence de Francis Colbac. Il s’y implique « à fond ». Il est élu trésorier de la fédération en février 1971, puis secrétaire général l’année suivante. Avec Marie George Kosellek-Buffet, la présidente élue de 1971 à 1973, « on formait un vrai binôme ».
En 1973, il quitte la résidence et oriente son militantisme vers l’UNEF. Il devient, entre deux congrès, son trésorier national, mais se méfie de cette responsabilité en lien avec ses études. Durant l’année 1973-1974, ses études mises de côté, il s’investit dans le secteur international et ne cesse de voyager, représentant le syndicat étudiant auprès de l’Union internationale des étudiants (UIE) et de ses organisations membres. Il participe au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants (FMJE) de l’été 1973 organisé à Berlin-Est, ainsi qu’au congrès de l’UIE en mai 1974 à Budapest. Il s’occupe aussi fortement des services de l’UNEF en direction des étudiants, notamment à la Coopérative des étudiants de France (CEF). De retour de son service militaire, en mars 1975, il participe avec Jean-Marc Denjean à la naissance de Voyage et Tourisme Universitaires (VTU), une agence de voyage de l’UNEF créée après la cessation d’activité de l’OTU.
À la rentrée 1975, il est temps de se “ranger” et devient salarié de l’Humanité, mais en tant que contrôleur de gestion, « le métier que je ne voulais pas exercer ».
En 1999, membre du comité de direction du journal, il intègre sa rédaction, rompant « enfin » avec sa formation initiale. Il devient le responsable des pages littéraires.

D’Alger à Antony ! De l’UNEA à l’AERUA !

Jacques Choukroun nous a récemment livré son témoignage en tant que militant étudiant à l’AERUA (Association des étudiants de la Résidence universitaire d’Antony) et, par extension, à la FRUF (Fédération des résidences universitaires de France) au tournant des années 1960 et 1970.
Né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en Algérie, Jacques Choukroun a grandi à Ténès dans une famille juive qui s’engage en faveur de l’indépendance de son pays. Pendant la guerre d’Algérie, il est un lycéen algérois très conscientisé et participe même à des manifestations en faveur de l’Algérie algérienne.
Le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance, est pour lui et sa famille un moment de fête. Porté par l’enthousiasme de la « révolution algérienne » et de la construction nationale, il entreprend des études d’histoire à l’université d’Alger. En parallèle, il milite activement au sein de l’UNEA (Union nationale des étudiants d’Algérie), qui adopte une position critique vis-à-vis du pouvoir en place après le coup d’État de Houari Boumédiène en 1965. À l’âge de 21 ans, face à la montée des menaces et de la répression visant les militants syndicaux, il décide de poursuivre ses études en France, avec l’espoir de retourner rapidement en Algérie.
À la rentrée 1967-68, marié avant son arrivée en France, il s’installe à la résidence universitaire d’Antony, dans l’un des trois bâtiments de jeunes ménages (de nombreux enfants peuplent cette cité u.) et s’inscrit en histoire à la Sorbonne pour achever sa licence. Il est d’abord déstabilisé par les divisions politiques du milieu étudiant, mais cela ne l’empêche pas de s’engager syndicalement. Il adhère à la FGEL (Fédération des groupes d’études de lettres), affiliée à l’UNEF, ainsi qu’à l’AERUA, où il s’investit particulièrement, séduit par ses revendications concrètes, éloignées des débats purement idéologiques qui agitent la Sorbonne.
Lors des événements de mai 1968, la solidité du groupe syndical dominant au sein de l’AERUA permet à l’association de résister aux critiques émanant de diverses mouvances (trotskistes de l’OCI, maoïstes…) et d’assurer sa pérennité et son unité. À cette époque, près de 3 000 étudiants résident à Antony, et plusieurs centaines d’entre eux sont adhérents à la FRUF, participant activement à ses diverses activités (groupes d’études, existence de bibliothèques disciplinaires, animation culturelle…) et à ses luttes. Jacques est très vite un des piliers de l’association des résidents antoniens.
Jacques Choukroun refuse d’adhérer à l’UEC (Union des étudiants communistes), estimant plus logique l’adhésion au PCF organisé en cellules de la section d’Antony dans la résidence universitaire. De même, il ne soutient pas la création de la tendance des comités pour le Renouveau de l’UNEF après le congrès de Marseille en décembre 1968, considérant qu’elle risquait de fragiliser et de mettre en péril l’unité du syndicat. À Antony, au sein de la FRUF, toutes les tendances et sensibilités continuent de coexister, malgré les tensions.
Il est élu au bureau national de la FRUF de 1969 à 1971 durant la présidence de Francis Colbac, mais progressivement, ses études – en histoire sociale – prennent le pas sur son activisme étudiant. Le retour en Algérie ne se concrétise pas. L’enthousiasme militant est investi dans des organisations syndicales (SNES puis SNESup) de 1972 à 2015 et dans le PCF jusqu’en 1989. Jacques Choukroun travaille néanmoins sur l’histoire de l’Algérie et s’installe dans le sud de la France. Il soutient ses deux thèses à l’université d’Aix-en-Provence [sur l’histoire du PC en Algérie (1920-1936) et sur l’histoire économique du cinéma français de 1929 à 1939 (du parlant à la guerre)]. Il devient enseignant à l’université de Montpellier. Historien, enseignant de cinéma, il participe à tisser des ponts entre les universitaires des deux rives de la Méditerranée.