Une longue note au secrétariat du comité central du PCF est rédigée par Guy Hermier le 15 janvier 1979, membre du Bureau politique depuis le XXIIe congrès en 1976 et en charge de la jeunesse. Il fut un des responsable de l’UNEF à Montpellier dans les années 60 et l’un des acteurs de la crise de l’UEC aux mêmes dates. Il connaît donc bien le milieu et les organisations étudiantes. Datée du 15 janvier 1979, elle est un élément majeur pour analyser les rapports entre PCF et UNEF. Elle peut donner les clés d’un compréhension de ces rapports car elle s’inscrit dans un moment d’instabilité où les chronologies des différents acteurs ne concordent pas. Elle les rend ainsi visibles. Elle nous permet aussi de discuter l’approche d’Etienne Borde qui dans un mémoire très intéressant identifie totalement UEC et UNEF faisant de cette dernière une organisation communiste.

Frédérick Genevée

L’article commentant ce document est lisible sur notre bulletin n°3

Nous remercions Guillaume Roubaud-Quashie, responsable des archives du PCF pour l’autorisation de reproduire ce document (AD93-Fonds du PCF, 261J11)

AD93-Fonds du PCF, 261J11 (dossier 6)

AU SECRETARIAT DU COMITE CENTRAL, NOTE SUR LA SITUATION DE L’UNEF ET DE L’UGE

(15 janvier 1979)

A la demande du secrétariat j’ai rassemblé dans cette note les informations les plus récentes concernant la situation de l’U.N.E.F. Mais aussi de l’U.G.E. puisque ces deux organisations vont tenir très prochainement leur congrès l’U.G.E. les 2,3, et 4 février et l’U.N.E.F. du 12 au 16 février.

Pour en apprécier la signification il convient de rappeler quelques données fondamentales qui sont connues et que je n’ai pas estimé indispensable de développer plus longuement pour le secrétariat. Il s’agit notamment :

– de la situation des étudiants et de son aggravation très sensible en liaison avec la politique du pouvoir ;

– des luttes qui, pour ne pas revêtir de caractère spectaculaire, n’en sont pas moins nombreuses, combatives et dans l’ensemble positives ;

– de la part prise par l’UNEF et l’U.G.E. dans ces luttes et de l’accroissement sensible de l’influence de ces deux organisations :

. l’U.G.E., malgré une relative faiblesse d’organisation (environ 1000 adhérents) et les attaques dont elle est actuellement l’objet, est reconnue comme l’organisation représentative des étudiants en grandes écoles,

. L’U.N.E.F. a renforcé ses rangs (entre 25000 et 30000 adhérents) et élargi son influence comme en témoignent les résultats des élections universitaires : 80000 voix en 1977/1978 soit plus de 62 % des suffrages (en progression de 11 % sur l’année précédente). Les résultats des élections en cours sont, pour l’instant, à peu près identiques.

L’existence et le développement de ces deux organisations syndicales étudiantes, le rôle dirigeant qu’y jouent les communistes, tout cela constitue un acquis précieux, surtout si l’on considère la place que les étudiants ont souvent occupée dans les luttes et la réalité de notre influence dans ce milieu.

Cet acquis n’a pas été obtenu sans luttes. Notamment depuis 1975 – date à laquelle le Parti socialiste s’est fixé comme objectif d’étendre encore son influence dans les organisations étudiantes, de jeunesse et d’éducation populaire – toutes les autres forces politiques de gauche nous disputent ce terrain.

Dans un premier temps cela s’est surtout traduit par la tentative d’implanter des organisations concurrentes : le COSEF (majorité du PS) et le MAS (CFDT), Ligue, PSU).

L’AJS s’efforçait dans le même temps de maintenir, non sans difficultés, l’autre U.N.E.F. Seuls les étudiants du CERES ont rejoint, dès cette époque et après discussion avec nous, les rangs de l’U.N.E.F. et de l’U.G.E.. Ces tentatives trops dispersées, se sont soldées par des échecs répétés qu’ont confirmés les élections universitaires.

A l’approche des élections législatives et depuis, les efforts en direction de l’U.N.E.F. et de l’U.G.E. se sont singulièrement accrus. Dans le cadre de leur politique d’affaiblissement de notre influence, le pouvoir et le PS veulent manifestement tout faire pour saper nos positions dans ces deux organisations. Ils peuvent pour cela s’appuyer sur certaines données de la situation qui nous sont défavorables :

– l’élargissement de ces organisations, notamment de l’U.N.E.F. autour d’une orientation syndicale cohérente est un fait positif, un atout pour déjouer d’éventuelles manœuvres politiciennes. En retour, de telles manœuvres peuvent se trouver faciliter – si nous n’y prenons garde par l’entrée dans l’U.N.E.F. de milliers d’étudiants non engagés politiquement mais fortement influencés par les idées réformistes.

– Après mars, il y a quelques difficultés chez nos camarades à définir une orientation syndicale qui, tienne réellement compte de la situation nouvelle. C’est particulièrement vrai à l’U.N.E.F. où beaucoup de problèmes se posent au sein même de la direction qui doit par ailleurs, affronter une situation financière très grave.

– Ces difficultés sont accrues par le fait que s’exerce une très forte pression sur l’U.E.C. dont les 10000 adhérents jouent un rôle moteur dans l’U.N.E.F. et l’U.G.E.. La discussion dans le parti a des répercussions chez les étudiants communistes. Nombreux sont ceux qui s’interrogent comme le membre du Bureau national de l’U.N.E.F. qui a écrit dans LE MONDE. Un petit nombre mène une bataille ouverte contre le Parti, sans doute en liaison avec des anciens de l’U.E.C. (Molina, Vargas, Bras, Konopnicki) et le Parti socialiste.

C’est pourquoi nous nous sommes fixés un double objectif :

1. Tout faire pour conserver la direction de ces deux organisations en veillant à nous appuyer sur la masse de leurs adhérents, à bien prendre en compte leurs problèmes, leur volonté de luttes, et leur aspiration à disposer d’une organisation syndicale combative, unitaire démocratique.

2. Eviter de nous isoler en faisant en sorte que des forces qui nous ont rejoint ces dernières années ne quittent pas l’U.N.E.F. et l’U.G.E..

A ce propos les étudiants du CERES ont demandé à nous voir. Jean-Michel CATALA les a rencontrés. Ils nous ont proposé le statu-quo à l’U.G.E. mais avec un renforcement de leurs positions (ils revendiquent le secrétariat général). Ils ont par ailleurs déclaré ne pas être intéressés par l’U.N.E.F. où ils ne jouent, en fait, qu’un r^ole très minime. Leur but est évidemment de créer les conditions pour prendre ultérieurement la direction de l’U.G.E.. Compte tenu des circonstances, nous sommes pour accepter, sous conditions, ces propositions. Nous préconisons d’aller ensemble au congrès de l’U.G.E. en recherchant un compromis sur l’orientation ( ce qui ne pose pas de problème et sur la direction, mais :

– en limitant leurs prétentions : nous refuserons de leur laisser le secrétariat général mais ils entreront au secrétariat,

– en exigeant qu’ils nous fassent une place dans la direction parisienne de l’U.G.E. qu’ils contrôlent,

– en préservant au maximum nos positions, notamment en province,

– en leur demandant de nous soutenir lors du congrès de l’U.N.E.F.

Nous aurions ainsi plus de certitude de conserver la direction des deux organisations ety d’éviter que les étudiants du CERES ne nous quittent. Nous cherchons également à ce que des étudiants de la JOC entrent dans ces directions avec certains non engagés politiquement.

Ceci dit, quelques précisions supplémentaires sur la préparation de ces deux congrès.

1/ – Le congrès de l’U.G.E. se tiendra à Lyon, les 2,3 et 4 février. Dans la conjoncture actuelle son déroulement et son résultat influenceront le congrès de l’UNEF. Il faut donc y attacher une grande importance .

Au début janvier, le rapport des forces se situait autour de 60 % pour la majorité syndicale (nous) et 40 % pour les étudiants du CERES et autres. Par expérience cela est un peu juste. Ca l’est d’autant plus que le CERES contrôle le collectif parisien de l’U.G.E. et que, si l’AJS a convoqué aux mêmes dates, un congrès de scission à Paris, rien n’exclut une nouvelle tentative de coup de force.

Il reste que nos camarades se battent bien et ont correctement orienté la préparation du congrès. Nous nous efforçons d’élargir encore notre influence dans de nombreuses écoles de province où il y a des communistes et pas d’U.G.E.. Naturellement un accord avec le CERES ne nous mettrait pas tout à fait à l’abri d’une mauvaise surprise mais faciliterait les choses.

2/ – Le congrès de l’U.N.E.F. se tiendra dans la région parisienne du 12 au 16 février. Sa préparation est à la fois plus facile et plus complexe.

Plus facile parce que le rapport des forces semble y être un peu meilleur. Encore faut-il attendre d’y voir plus clair dans la discussion qui s’engage et peut nous réserver des surprises.

Plus complexe parce que nos rapports avec la direction de l’U.N.E.F. et son président (Jean-Luc Mano) se sont compliqués dans la toute dernière période. Cela tient tout d’abord au fait qu’un étudiant communiste, membre du Bureau national, a écrit dans LE MONDE pour mettre en cause le manque d’indépendance de l’U.N.E.F. à notre égard. Cela tient aussi au fait que la direction de l’U.N.E.F. a du mal à préciser son orientation après les élections législatives. Les textes soumis au congrès tendent à démarquer de manière mécaniste, la démarche « critique » du congrès de la CGT et ne prennent pas suffisamment en compte les difficultés des étudiants et les perspectives de lutte pour faire avancer, sans attendre, leurs revendications et aspirations. Nous en avons discuté avec les camarades du secrétariat de l’U.N.E.F. mais il est difficile d’obtenir des corrections et la discussion s’en ressent. Nos rapports se sont par ailleurs quelque peu distendus ces derniers mois. Jean-Luc Mano, qui nous a proposé de quitter la présidence de l’UNEF, hésite enfin à affronter clairement ces problèmes au sein de la direction et avec nous. Cela crée une situation qui, pour na pas être vraiment inquiétante, ne contribue pas à l’attitude combative nécessaire.

Ces difficultés sont accentuées par une situation financière très grave de l’UNEF. Alertés par Roland Weil qui assure la défense juridique de l’UNEF nous avons essayé d’y voir clair.. Ce qui en ressort c’est que l’UNEF a plusieurs dizaines de millions de dettes dont certaines si urgentes qu’une procédure de liquidation pourrait être entreprise avant même le Congrès. Cela n’aide pas nos camarades qui sont sur le point de quitter leur local et ne disposent pas à l’heure actuelle des moyens nécessaires à la préparation de leur congrès.

En conclusion, je préconise que le secrétariat décide de :

1. confirmer l’orientation que nous avons déterminée pour la préparation de ces deux congrès.

2. renforcer, si besoin s’en fait sentir, le secteur jeunesse. Deux petits collectifs ont déjà été mis en place qui travaillent avec Jean-Michel Catala et moi-même. Cela semble pour l’instant suffisant si Michel Duffour continue de nous apporter sa collaboration. Mais d’autres aides politiques et momentanées peuvent s’avérer nécessaires.

3. Nous laisser la possibilité de poursuivre le travail déjà engagé avec les fédérations pour consolider nos rapports de forces et d’examiner avec les fédérations du Rhône et de la région parisienne les problèmes spécifiques concernant la tenue des congrès.

4. D’intervenir auprès de nos camarades syndicalistes pour qu’ils examinent avec l’UNEF les moyens de résoudre sa situation financière. Depuis plus de deux ans le Parti a cessé toute aide à l’UNEF dans ce domaine. Il est cependant très dangereux de laisser ce problème en l’état. Il semble plus logique que ce soient les organisations syndicales qui examinent ce qu’il est possible de faire. »

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